Communication interculturelle

Les trois notions centrales:

Communication

Culture

Interculturel

Définir la communication interculturelle

Définition de Stella Ting-Toomey

Métaphore des icebergs

Valeurs culturelles

Modèles d'orientations de valeurs

Les orientations de valeurs de Kluckhohn et Strodtbeck

Trois exemples des variables culturelles de Hofstede

Perception et communication interculturelle

Styles de communication

Continua de styles de communication

Communication non verbale

Développement de compétences au niveau non verbal

Choc culturel

Quelques stratégies pour gérer un choc culturel

Concepts de la communication interculturelle

  • Préjugés
  • Stigmates
  • Perception
  • Stéréotype

Les éléments structurants de la communication en contexte interculturel

La culture

Culture et centralité émotive. Dans un contexte interculturel, l’émetteur et le récepteur sont porteurs de cultures différentes. Pour comprendre ce qui nuit à la communication, on doit considérer les éléments « cachés » de la culture, par opposition à ses éléments « visibles ». Ces éléments comportent des attitudes, des croyances et des valeurs (Singer, 1987). Les attitudes désignent ce que nous aimons ou n’aimons pas, nos préférences ou nos répulsions concernant des objets, des idées, des situations, des personnes ou des groupes de personnes. Les croyances sont des hypothèses ou des attentes - conscientes ou non - qu’un individu accepte comme vraies à un moment de son existence. Les valeurs sont des croyances persistantes selon lesquelles un objectif de vie ou un mode de comportement est personnellement ou socialement préférable à l’objectif de vie ou au mode de comportement qui lui est opposé; elles définissent ce qui est désirable et indésirable. Les éléments cachés de la culture sont particulièrement déterminants dans la constitution et le maintien d’un système culturel ainsi que dans le comportement des êtres humains; ils règlent les normes de conduite qui régulent les relations entre les personnes et donnent un sens aux codes verbaux et non verbaux qui sont utilisés pour communiquer. Les éléments matériels d’une culture (dans les domaines de l’alimentation, de l’habillement, de la religion, des technologies, etc.) ou les comportements observables des individus ne sont souvent que des manifestations concrètes de leurs croyances et de leurs valeurs; c’est pourquoi celles-ci s’accompagnent d’une charge émotive très importante. Les réactions les plus vives, lors d’une rencontre interculturelle, découlent souvent d’un sentiment de menace de certains de ces éléments cachés de la culture qui, s’ils sont démentis, remettent en question tout le mode de vie de la personne ou de son groupe. Aussi est-il fréquent que des croyances ou des valeurs divergentes soient au centre de conflits interculturels. La charge émotive de la culture s’explique aussi par sa fonction de répondre au besoin de l’être humain de vivre dans un univers prévisible et de s’y sentir en sécurité. La culture fournit à l’individu des normes qu’il peut utiliser pour adopter une conduite adéquate ou pour prévoir le comportement d’autrui; elle comporte des croyances grâce auxquelles il peut expliquer les événements; elle véhicule des valeurs qui donnent une orientation à sa vie et guident sa conduite vers l’atteinte de buts précis. En ce sens, la culture rend la réalité « maîtrisable ». La rencontre d’une personne de culture différente est menaçante : par ses comportements, par ses attitudes ou par ses idées, elle bouscule les certitudes de son interlocuteur et suscite des remises en question de ses propres normes, croyances et valeurs; son système de référence habituel ne lui suffit plus à donner un sens à ce qu’il observe et à se sentir compétent dans son environnement.

Culture et conscience culturelle.

La culture est transmise par enculturation - processus au cours duquel un individu intègre les valeurs et les normes de sa collectivité et apprend à interpréter le monde et à se comporter comme les membres de son entourage (Alboudy, 1976 : voir Guimond, 1974, p. 671; Barrette et coll., 1996, p. 29). Dès son plus jeune âge, l’individu apprend ce qui est (ou ce qui n’est pas) permis, correct, normal ou naturel grâce à des pratiques et à des prescriptions culturelles qui permettent aux valeurs et aux idéaux d’une collectivité d’exister concrètement au sein de celle-ci. Les croyances, les valeurs, les impératifs et les interdits sociaux sont transmis et renforcés par le biais de coutumes, de normes et de pratiques qui règlent les relations dans les activités de tous les jours, au sein de la famille, à l’école, au travail, dans les loisirs. En répondant aux demandes et aux attentes plus ou moins explicites qui lui sont adressées par ses parents, ses professeurs, ses amis, son employeur, ses collègues, etc., l’individu intériorise les valeurs collectives prédominantes (Markus et Kitayama, 1994). L’enculturation se déroule en grande partie avant l’âge de l’abstraction, par observation et par imitation plutôt que par des indications verbales et explicites (Andersen, 2000). La nature de ce processus fait en sorte que la culture est apprise et vécue plus ou moins à notre insu, sans que nous en soyons pleinement conscients. Le fait que nous ne soyons pas toujours conscients des valeurs et des croyances qui motivent nos comportements rend celles-ci plus difficiles à identifier quand elles sont au coeur d’un conflit, ce qui, en retour, rend celui-ci plus difficile à résoudre. Culture et normalité. Avec l’ensemble des gènes hérités à la naissance, l’environnement social est le principal déterminant de l’identité et du comportement (Andersen, 2000; Barrette et coll., 1996). Comme la socialisation commence dès notre arrivée au monde, il n’est pas toujours facile de départager l’influence du milieu de celle des gènes. Comment savoir si un individu est ou se comporte d’une certaine façon parce que c’est « dans sa nature » plutôt que « dans sa culture » d’être ou d’agir ainsi? L’impact de la culture sur le comportement est et a souvent été confondu avec celui de la nature. Ainsi, la théorie à l’origine du racisme soutenait que les différences entre les groupes humains provenaient de différences génétiques héréditaires, plutôt que de la diversité des milieux de vie; les différences sociales et culturelles ainsi que les inégalités de statut, de richesse et de pouvoir étaient considérées comme des conséquences directes de la biologie, ce qui justifiait la discrimination et, en retour, le maintien du statut quo (Barrette et coll., 1996). Dans les faits, il est difficile de faire le lien entre biologie et comportement, entre autre parce qu’un gène ne contrôle pas directement la manifestation d’un trait. En effet, le milieu, i.e. l’ensemble des conditions internes et externes de l’organisme, intervient avec le matériel génétique pour déclencher, inhiber, moduler l’expression d’un trait (Barrette et coll., 1996). Bien que la science ait permis d’invalider les fondements théoriques du racisme, il demeure parfois difficile de distinguer les effets de la culture et ceux de la nature. Étant donné l’enracinement profond de la culture dans l’éducation et dans le développement d’un individu, celui-ci peut facilement en arriver à confondre la « nature humaine », la « normalité » ou toute vérité « universelle » avec sa propre culture. Sans nier l’existence d’une vérité absolue, la recherche ou la définition de cette vérité n’est pas le but principal de la communication interculturelle dans le contexte québécois d’intégration. Malgré l’existence de besoins communs à tous les êtres humains, il n’existe pas de réponse universelle à ces besoins. Dans un contexte d’entraide et de solidarité, les interlocuteurs doivent chercher à favoriser la satisfaction des besoins mutuels tout en demeurant conscients que les moyens de satisfaire ces besoins varient selon la culture.

L’identité culturelle

Culture versus identité culturelle. Bien qu’il soit nécessaire de s’interroger sur le concept de culture pour déterminer les implications que peut avoir la présence de différences culturelles sur la communication, il ne suffit pas de connaître divers systèmes culturels pour prévenir et surmonter les difficultés que peuvent rencontrer des interlocuteurs de cultures différentes. La connaissance des croyances, des valeurs, des normes de conduite et des codes de communication qui prévalent dans une culture peut nous aider à prévoir et à expliquer le comportement d’une personne dans la mesure où celle-ci s’identifie à cette culture - ce qui n’est pas toujours le cas. Ainsi, l’identité culturelle qu’on attribue à une personne (identité prescrite) ne correspond pas nécessairement à l’identité culturelle telle que vécue par cette personne : ce n’est pas parce qu’on catégorise une personne comme membre d’un groupe que cette personne s’identifie à celui-ci ou qu’elle agira en fonction des idées préconçues concernant ce groupe. Par exemple, un individu d’origine étrangère adopté en bas âge peut s’identifier davantage à la culture d’accueil qu’à sa culture d’origine. Par ailleurs, même si notre interlocuteur confirme son appartenance à un groupe, son identification peut ne pas être totale ni exclusive. Il peut se différencier du reste du groupe soit en rejetant certains ou plusieurs éléments culturels de ce groupe, soit en accordant à d’autres éléments plus (ou moins) d’importance que les autres membres du groupe, soit encore en intériorisant d’autres appartenances. C’est souvent le cas des enfants d’immigrants socialisés dans deux cultures différentes, le jour à l’école, dans la société d’accueil, et le soir dans leur famille. La culture est un ensemble d’éléments partagés par un large groupe et transmis de génération en génération au sein de ce groupe (Samovar et Porter, 2000; Singer, 1987); elle ne désigne pas l’individualité de chaque membre de ce groupe. Or, la communication met en relation non pas des cultures mais des individus, ceux-ci ayant une expérience personnelle de leur culture. L’expérience d’une culture peut être désignée par le terme d’identité culturelle, qui se définit plus précisément comme l’identification d’un individu à un groupe et le sentiment de cet individu d’être accepté par ce groupe (Collier et Thomas, 1988 : voir Belay, 1996, p. 321). L’identité culturelle dérive d’une tension constante entre un besoin d’affiliation et un besoin de différenciation (Brewer, 1991 : voir Gudykunst, 1994, p. 23). Le fait d’être unique et différent est aussi important que d’être semblable à d’autres personnes et d’être intégré à un groupe. En se conformant à certaines normes pour être accepté au sein d’un groupe, l’individu répond à son besoin d’affiliation; en faisant valoir les caractéristiques qui permettent à son groupe de se démarquer des autres groupes, il répond à son besoin de différenciation. C’est peut-être ce qui explique l’attachement des Québécois à la langue française : celle-ci leur permet en effet de se distinguer de tous les autres groupes ethnolinguistiques d’Amérique du Nord.

Comme l’identité culturelle d’un individu vise à satisfaire ses besoins d’affiliation et de différenciation, la revendication de cette identité peut être un enjeu important lors d’une communication. La nonreconnaissance ou le non respect de l’identité culturelle d’un individu peut être perçu ou vécu comme une menace par celui-ci. Toute situation ou toute personne qui remet en question son identité peut être perçue comme une menace - particulièrement si ce changement concerne des aspects ou des engagements centraux à son identité. Belay (1996) suggère cinq éléments de définition de l’identité culturelle qui peuvent nous aider à identifier ce qu’il importe de considérer dans la reconnaissance de l’identité culturelle d’un interlocuteur. Il s’agit de la « temporalité », de la « territorialité », de la « multiplicité », de la « contrastivité » et de l’ « interactivité ». Ajoutons également le pouvoir, un aspect de l’identité culturelle ayant été documenté par Martin (2000), Orbe (1998) et Singer (1987).

Identité culturelle, temporalité et territorialité.

La temporalité signifie que l’identité culturelle se situe dans le temps. Elle émerge d’une histoire et s’inscrit dans cette histoire; elle est le produit de contextes historiques particuliers. Un groupe culturel a une origine, lointaine ou récente. Il a aussi une existence dans le présent. Il a une évolution : les Québécois furent d’abord des Français, puis des Canadiens et plus tard, des Canadiens français. Cette évolution est marquée par des événements significatifs : la défaite des Français contre les Anglais à la fin du 18ème siècle est l’exemple d’un événement qui a eu des répercussions importantes sur leur identité. La construction de l’identité est aussi un processus qui se situe dans l’espace : c’est ce qu’on entend par territorialité. L’identité d’un groupe est liée à la revendication d’un territoire et à des stratégies ou à des justifications pour gagner ou défendre ce territoire. L’actualité en fournit un exemple avec le conflit qui oppose Palestiniens et Israëliens, ces deux groupes ayant développé un sentiment identitaire pour le même territoire. Plus près de nous, les revendications territoriales des autochtones illustrent également l’importance du territoire dans la constitution de l’identité. La temporalité et la territorialité nous permettent de définir deux types importants d’éléments d’identification chez les membres d’un groupe culturel : les éléments historiques et les éléments territoriaux. Des lieux et des événements participent au développement et à l’évolution des identités culturelles et peuvent être au centre de revendications ou d’enjeux identitaires importants lors d’une interaction entre des personnes de cultures différentes; ils sont accompagnés d’une charge émotive plus ou moins grande selon la signification qui leur est attribuée. La temporalité et la territorialité sont particulièrement centrales à la formation des identités nationales et ethniques. Barrette et coll. (1996, p. 8) définissent une nation comme une population « qui habite un pays ou une partie de son territoire et qui a pu participer à sa création »; pour Singer (1987), une nation désigne un groupe qui occupe un environnement spécifique et qui a une histoire propre. Une ethnie, d’autre part, est « une population qui se définit (...) par une culture et une histoire communes à ses membres » (Barrette et coll., 1996, p. 4). Même s’il arrive qu’une ethnie soit représentée par plusieurs groupes en différents lieux du monde, ses membres partagent le sentiment d’une origine commune (Martin, 2000) et leur histoire est généralement associée à une région du monde en particulier.

Identité culturelle et multiplicité.

La troisième particularité de l’identité culturelle, la multiplicité, nous indique que le sentiment identitaire n’est exclusif ni à l’appartenance ethnique, ni à l’appartenance nationale. Un danger de la communication interculturelle est de réduire l’identité de son interlocuteur à sa nationalité ou à son ethnicité. La communication interculturelle désigne la communication entre des personnes de cultures différentes parmi lesquelles la culture ethnique et la culture nationale, mais celles-ci interfèrent avec d’autres éléments d’identification comme le sexe, l’âge, la religion, la classe sociale, l’orientation sexuelle, la profession, etc. L’individu n’est pas enfermé dans une seule catégorie sociale : tout au long de sa vie, il est membre, de façon contrainte ou choisie, de groupes plus ou moins nombreux. À l’instar des groupes nationaux ou ethniques, les groupes qui se définissent sur la base de caractéristiques autres que la nation ou l’ethnie évoluent dans le temps et dans l’espace. Ainsi, la révolution sexuelle a marqué l’évolution des identités basées sur le genre; elle a bouleversé les rôles de l’homme et de la femme occidentaux ainsi que les territoires respectifs qui leur étaient réservés, i.e. le travail à l’extérieur du foyer et les tâches ménagères à la maison. Les sous-groupes culturels donnent aussi naissance à des systèmes culturels qui leur sont propres et qu’ils transmettent à leurs membres. En raison de ses appartenances multiples, un individu peut partager certaines convictions ou une perception semblable de la réalité avec les membres de groupes variés ( DeVito et coll., 2001; Singer, 1987). Aussi, des membres d’un même groupe social (ex. : adolescents) qui appartiennent à des communautés ethniques différentes (ex. : haïtienne et vietnamienne) ont parfois plus en commun qu’avec d’autres membres de leur propre communauté ethnique qui appartiennent à un groupe social différent (ex. : personnes âgées).

Identité culturelle et saillance identitaire.

Les appartenances d’un individu n’auront pas toutes le même poids dans la définition de son identité. Consciemment ou non, il les rangera en ordre d’importance. Certaines particularités de son environnement, comme le genre des gens qu’il côtoie au quotidien ou le type et la concentration des groupes ethniques dans son milieu de vie, pourront jouer un rôle important dans le développement de son identité (Vallerand et Losier, 1994). Ainsi, pour une personne de couleur qui habite dans un quartier majoritairement blanc, la race pourra devenir une dimension d’appartenance très significative; pour un garçon élevé parmi plusieurs soeurs, il pourra plutôt s’agir du genre. Comme il est peu probable que deux individus s’identifient exactement à tous les mêmes groupes sociaux avec la même intensité, deux interlocuteurs n’ont jamais tout à fait la même culture personnelle et la même perception de la réalité. Par contre, plus le nombre d’appartenances communes est élevé, plus leur perception de la réalité est semblable, et plus il leur sera facile de communiquer (Singer, 1987).

La différence culturelle: cause réelle versus cause apparente

Camilleri (1989) définit les attitudes et les comportements ethnocentriques comme des réactions à la différence culturelle. Nombreux sont ceux qui, comme lui, associent la différence aux problèmes fréquemment rencontrés entre des personnes de cultures différentes. Les différences dans les codes de communication verbale et non verbale sont des éléments culturels qui comptent parmi les obstacles à la communication interculturelle identifiés par Barna (1997). L’absence d’une langue commune n’est souvent que la pointe de l’iceberg : même si l’utilisation d’une même langue facilite l’échange des messages, elle ne garantit pas pour autant une communication efficace, les mêmes mots pouvant être utilisés et interprétés différemment par les interlocuteurs; ainsi, des malentendus pourront naître autour d’un simple « oui » ou « non ». La communication non verbale pose un problème semblable : un regard, un signe de la main peuvent signifier des choses diamétralement opposées selon la culture, tantôt salutation, tantôt insulte.

L’absence de prise en compte de la différence.

L’absence de prise en compte de la différence se manifeste de plusieurs façons. Même s’il peut y avoir une ignorance réelle des différences culturelles, en particulier dans les sociétés homogènes, il est surtout question, dans les sociétés pluralistes, d’une méconnaissance de ces différences (Camilleri, 1989, p. 365). On comprend mal comment celles-ci s’expliquent; on observe des différences dans divers domaines sans toutefois connaître le système de croyances et de valeurs qui donne un sens et une cohérence à l’ensemble de ces différences. On utilise donc son propre système de référence pour tenter de comprendre le comportement de l’étranger. On peut aussi présumer que suffisamment de ressemblances existent entre les êtres humains pour faciliter la communication : « Dans le fond, on est tous pareils », se dit-on (Barna, 1997). On se base sur l’existence d’émotions fondamentales (colère, peur, surprise, tristesse, dégoût, joie), sans considérer les différentes raisons qui peuvent donner naissance à ses émotions ainsi que les différences au niveau de l’intensité et des circonstances où elles sont exprimées. Ou encore, on réfère aux besoins communs à tous les êtres humains sans considérer les différences qui se sont développées dans les réponses à ses besoins.

 

Date de dernière mise à jour : 15/03/2019