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La politesse-charité dans l'interaction Occidents-Autres cultures

LA "POLITESSE-CHARITE" DANS LA REGULATION DE L'INTERACTION OCCIDENT-AUTRES CUTURES. CAS DE L'ACCUEIL DES AUTRES CUTURES EN OCCIDENTET DE L'AIDE AUX PAUVRES

(Edilivre 2015)

Lien sur le site de l'éditeur (Cliquez ici)

Par Prof. Dr. Sisi Kayan

 

Une enquête menée par la TNS-Sofres-Logica[1] en France, et dont les résultats ont été publiés par Pèlerin, a démontré que la politesse était la valeur star de l’année 2010. Ces petites valeurs qui changent tout ont été passées au crible dans un sondage exclusif. Après interrogation d’un échantillon français, toutes catégories confondues, sur un ensemble de valeurs dont on voulait vérifier l’importance dans la société française, la politesse est arrivée en tête avec 62 % de voix. Ce résultat étonne tout de même quand on sait combien la France a été remarquable dans ce qu’on appelle « le mouvement de 68 »[2], lequel mouvement a beaucoup contribué à la baisse de la politesse en privilégiant la spontanéité et la sincérité dans l’agir.

Ce sondage indique que la politesse est la valeur à laquelle les Français accordent le plus d’importance dans la vie de tous les jours. Elle est aussi la valeur dont on pense manquer le plus dans la société moderne. Toujours selon la même enquête, au rang des valeurs star, viennent ensuite la sincérité, l’écoute, le sens des responsabilités et la gentillesse. C’est dire en fait que la politesse court plus vite et arrive avant toute autre valeur dont la découverte demande parfois du temps.

On comprend que le besoin de politesse exprimé dans ce sondage naît du constat de son absence ou de son déficit dans la société actuelle. Ce plébiscite en faveur de la politesse est sans doute révélateur de son rôle indispensable dans la régulation des rapports sociaux et des interactions humaines à tous les niveaux. En effet, la politesse, faite d’un ensemble de « petits riens », est le premier pas vers la reconnaissance de l’autre. Lorsque des petits mots comme « bonjour », « merci », « pardon », « s’il te plaît », « je t’en prie »… font défaut, commence alors le règne du mépris ou la loi du plus fort. Soit dit en passant, lors de sa première apparition publique, c’est avec un simple « bonsoir » que le Pape François, nouvellement élu, a réussi à conquérir les cœurs de tous. La politesse est l’instrument efficace dont devrait se servir notre monde globalisé pour que même ceux qui ne se sympathisent pas puissent se respecter et ceux qui ne s’aiment pas puissent se souhaiter du bien.

Dans son édition du 18 Mars 2013, le quotidien Italien Il Giornale rendait compte d’une tôlée qu’avait provoquée le comportement peu poli d’une députée du « Mouvement 5 étoiles ». En effet, à l’occasion de la rentrée parlementaire de Mars 2013 en Italie, l’honorable Gessica Rostellato (du Mouvement 5 étoiles) avait refusé de serrer la main à l’honorable Rosy Bindi, une députée du Parti Démocratique qui, gentiment s’était dirigée vers les nouveaux élus pour les saluer et se présenter en vue de faire connaissance mutuelle. Plus de deux mille personnes, intervenant sur les forums et sur facebook, ont critiqué fermement une telle attitude, parlant d’une piètre figure dont Gessica avait fait montre. En s’excusant de son geste, l’honorable Gessica a dit qu’elle ne savait malheureusement pas être hypocrite. Elle indiquait aussi que son nouveau rôle l’obligeait désormais à poser des gestes que spontanément elle n’aurait pas pu.[3]

Cet épisode nous offre plus d’un repère quant à notre étude : de la notion de face (entendue comme image sociale publique que chacun revendique et voudrait voir préservée ou respectée) au rapport entre politesse et morale, de la question de l’hypocrisie à celle de la sincérité ou de la spontanéité dans l’agir… Le jugement sévère des intervenants sur la toile contre Gessica est, comme dans le cas du sondage français, une revendication presque collective de la nécessité de la politesse dans la société italienne. Notons par ailleurs que de toutes ces critiques, il n’émerge aucun jugement moral sur la personne de l’honorable Gessica. Ce qui intéresse les internautes dans cette interaction, c’est plutôt l’image publique que Gessica a donnée d’elle-même et la menace qu’elle a fait subir à la face (image) de Bindi. Donner une bonne image de soi, tout comme répondre à un geste de bienveillance gratuite, fût-il un salut, est une forme de « charité normative », qui une fois intériorisée devient vraie charité publique.

Le désir d’une régulation des interactions et des comportements semble très ancien et est à situer à l’origine même de l’existence sociale. C’est dire que la politesse est inhérente de manière substantielle à l’humanité même. Avant de prendre du temps pour nous connaître, autrui nous juge d’emblée sur notre manière de paraître. Avant même de savoir si nous sommes gentils, sincères ou bons, l’autre est attentif aux signaux de politesse que nous lui donnons.

Une telle nécessité que les individus ont soit pour eux-mêmes soit pour les autres, est ce que Goffman appelle image sociale ou face. La finalité de la politesse est de maintenir une bonne image sociale durant un échange communicatif afin d’obtenir une interaction morbide et harmonieuse. Le travail de Goffman sur la face inspirera les recherches de Brown et Levinson qui donneront désormais un nouvel élan à l’étude sur la politeness, c’est-à-dire un moyen de concilier le désir mutuel de préservation des faces, étant donné que la plupart des actes de langage sont potentiellement menaçants pour l’une ou l’autre face des interlocuteurs.

La politesse est l’expression du besoin de respect, qui avec le besoin d’amour, de valorisation, d’appartenance et de liberté, sont les besoins que chaque personne éprouve dans l’interaction avec les autres. Tous ces besoins sont à inscrire à l’intérieur de la fragilité qui caractérise la nature humaine, laquelle fragilité requiert attention et soin des autres.

La relation à l’autre, quand il s’agit surtout d’une autre culture, est souvent teintée de menace de faces. Le rapport à l’autre part sur des bases quelque peu ethnocentriques, c’est-à-dire une sorte d’orgueil qui fait estimer notre culture ou tout ce qui est nôtre supérieur aux autres et nous fait voir, comprendre ou apprécier le monde à partir de seuls critères de notre milieu, de notre culture… Dans ce contexte, l’ignorance des codes culturels, les préjugés, les stéréotypes, les stigmates… ne favorisent pas toujours un contact soudain et harmonieux. C’est alors que la politesse, la vraie politesse du cœur, a bien le rôle de favoriser la reconnaissance de l’autre, son acceptation et son respect en tant qu’être humain, porteur de dignité et de valeur. Une telle politesse permet de garder la juste distance qu’impose chaque type d’interaction et de donner une bonne image sociale de soi en respectant celle des autres.

Il ne serait peut-être pas exagéré de dire que la majorité des conflits et des problèmes qui surgissent dans des institutions ou des entreprises, tout comme dans la société en général, est liée à des erreurs de type communicationnel. Et si l’on peut restreindre le champ de cette observation, on se rendra bien compte que le manque de politesse peut être pointé comme la cause principale des chocs et des problèmes relationnels à tout niveau.

S’il est vrai que la politesse reste un phénomène universel, les règles et les codes peuvent varier d’une culture à une autre. Aujourd’hui, plus qu’hier, la rencontre entre cultures est une évidence. Plus aucune culture ne peut vivre fermée sur elle-même, tout comme aucun système politique ou économique ne saurait évoluer en vase clos. Il y a cinquante ans par exemple, certains problèmes de type interculturel, à l’instar du dialogue interreligieux ou de la liberté religieuse ne se posaient pas en Occident. Il était presque impensable d’imaginer une forte présence des autres cultures au point de voir ses propres murs de sécurité petit à petit percés. Habitué à voir le monde d’un point de vue de maître, l’Occident se rend aujourd’hui à l’évidence de la nécessité d’une ouverture équilibrée aux autres cultures. L’émergence de certains pays comme la Chine, le Japon, l’Inde, le Brésil et certains autres riches pays de l’Orient impose petit à petit au monde un certain relativisme culturel. Dans le nouveau jeu de l’équilibre mondial, l’Occident n’est plus le seul maître à bord. Bien que peaufinant de nouvelles stratégies pour maintenir son rôle central, l’Occident semble ne plus jouir de tous les avantages que lui a octroyé l’histoire. De cette manière il se trouve écartelé entre la conscience ethnocentrique d’être la culture de référence aux valeurs universelles et la conscience d’être une culture parmi tant d’autres qui forment le village planétaire. La biodiversité culturelle qui a commencé (et qui conduit généralement à une situation d’hybridité parfois confusionnelle) ne réussit pas encore à trouver d’équilibre, et suscite par conséquent peurs, résistances, doutes et aussi certains déséquilibres.

C’est donc dans ce contexte que nous voulons re-proposer la politesse comme recette pour réguler cette interaction en vue d’une cohabitation harmonieuse entre différentes cultures. Ainsi le croisement de personnes de différentes cultures pourra alors devenir une vraie rencontre caractérisée par la reconnaissance, l’acceptation et le respect de l’autre pour son bien. Et la politesse à laquelle nous voulons assigner un tel rôle est celle que nous nommons « politesse-charité », c’est-à-dire un tact du cœur, libéré de toute hypocrisie et de toute ambiguïté.

L’expression « politesse-charité », outre son rôle de dédouaner la politesse classique de son ambigüité, prône une prise en charge complète de la personne humaine. Il s’agit de prendre soin de l’image de l’homme et de sa face. Dans un contexte général de vulnérabilité et de besoin dont fait montre l’être humain en général, la « politesse-charité » se veut une sorte d’attention à tous les aspects qui nécessitent soin et délicatesse dans la relation entre les hommes.

Le discours sur la politesse-charité dans le contexte interculturel de l’accueil et de l’aide à la pauvreté met aussi en exergue le problème de l’identité culturelle de chacun des “interactants”. La politesse doit jouer son vrai rôle de conciliation, de régulation, de lubrification, d’amortissement des chocs culturels. C’est cette politesse que nous estimons à même de favoriser la fluidité du rapport communicatif entre l’Occident et les autres cultures dans les deux cas ci-haut évoqués.

Si la politesse dans l’aide aux pauvres s’intéresse à la question de la dignité ou de la face du pauvre dans le processus de l’aide (de la sensibilisation à l’exécution), la politesse dans l’accueil voudrait surtout s’atteler à la complexe réalité des rapports interculturels sur le sol occidental où la culture occidentale, principalement fondée sur les racines chrétiennes, est mise à rude épreuve par la présence des autres cultures dont certaines sont fondées sur des principes religieux différents. Avec ses valeurs de respect des libertés ou de démocratie égalitariste, avec son esprit critique, sa rationalité, son ouverture scientifique (éléments qui font par ailleurs la spécificité de l’identité occidentale), l’Occident affronte la question de l’« interculturalité » de manière différente des autres cultures, à l’instar des cultures orientales. C’est sans doute aussi une prédisposition de profil de politesse qui fait que l’Occident tende plus à la réserve et moins à tant d’ouverture dans l’approche ou le contact avec l’autre. C’est à ce niveau que la question de confrontation de profils de politesse dans l’interaction s’invite dans le débat. Par exemple, les guerres qui ont lieu au moyen et proche Orient, qui sont une expression concrète de l’anti-occidentalisme, s’expliquent sur base d’un fond religieux. A tout considérer, il s’agit d’une guerre religieuse. Alors que ces mouvements (fondamentalistes extrémistes musulmans) brandissent clairement la conscience d’être engagés pour une cause religieuse et culturelle, l’Occident (en faisant semblant d’ignorer la dimension religieuse) parle simplement du terrorisme.

Le Britannique Rudyard Kipling écrivait dans sa fameuse Ballade de l’Occident et de l’Orient : « L’Orient est l’Orient et l’Occident est l’Occident : ce sont deux mondes qui ne se rencontreront jamais ».[4] Les sensibilités ne sont pas les mêmes, les réactions ne sont pas les mêmes et parfois les concepts ne sont pas les mêmes. Loin de tout pessimisme, une telle affirmation invite à une prise de conscience de la distance culturelle et au même moment à des efforts et même à des sacrifices requis pour une interaction harmonieuse, dans ce contexte naturellement prédisposé aux malentendus.

La liberté d’expression ou la liberté religieuse est l’un de ces lieux de malentendus, tout comme les droits et l’émancipation de la femme. Et de temps en temps, une sorte d’échange de « coups de marteau » entre ces deux cultures envenime les relations. L’attentat du 11 septembre 2001 n’a fait qu’empirer le climat de soupçon et de méfiance entre ces deux cultures. Les guerres en Irak, en Afghanistan, en Syrie, tout comme le feu allumé dans le Nord de l’Afrique… sont vus aussi comme une expression matérielle d’une telle distance culturelle. C’est dans ce contexte complexe que la « politesse-charité » devrait permettre à ces deux cultures et aussi à toutes les cultures du monde de cohabiter pacifiquement.

Dans la situation actuelle de multiculturalité et de multiethnicité, où l’Occident (l’Europe occidentale et l’Amérique du Nord) est pris d’assaut comme point de chute de près de 110 millions des ressortissants des « autres cultures » (que ce soit l’Islam, l’Orient, le kaléidoscope africain) et où la pauvreté « systématique » mobilise de manière surprenante tant d’actions caritatives et humanitaires, les interactions (dans ces deux cas de l’accueil et de l’aide à la pauvreté) sont naturellement entachées d’une sorte d’asymétrie. Cette asymétrie accorde plus de crédit à la face de celui qui accueille et de celui qui donne (ce que nous appellerons « avantage positionnel »), au même moment qu’elle défavorise celui qui est reçu et le bénéficiaire.

En divisant le monde en deux blocs, c’est-à-dire l’Occident et les autres[5], nous voulons en fait souligner cette sorte d’asymétrie que l’histoire de l’humanité a petit à petit fixée et dont le renoncement exige un grand sacrifice. L’Occident est vu comme centre du monde et toutes les autres cultures sont vues comme une sorte de « périphérie ».

Dans ce contexte, l’élément régulateur qui peut être efficace pour équilibrer la balance interactive est la politesse – mais pas n’importe laquelle – la « politesse-charité », c’est-à-dire un élan intérieur de disposition à la bienveillance pour le bien de l’autre qui s’extériorise par des attitudes, des gestes de respect, d’estime et considération pour autrui.

Puisqu’il s’agit de rencontres interculturelles, il s’agit donc d’un concert d’identités diverses. C’est ici que le phénomène d’accueil en Occident oscille entre la peur et l’ouverture et que l’aide bute au problème de « contextualisation » culturelle. Comment l’Occident peut-il accueillir et maintenir son identité, sans se sentir « étranger » chez lui-même, au même moment qu’il reconnaît et valorise les identités culturelles des autres ? Ici, le besoin de la politesse-charité se fait encore plus fort pour faire interagir les différentes identités culturelles de manière harmonieuse.

Dans ce contexte multiculturel, la politesse court plus vite et arrive avant, souvent même là où la sympathie ou la charité n’arrive pas. La politesse est l’outil de sociabilité qui permet à deux personnes qui ne s’aiment pas de se souhaiter du bien et de se saluer. Avec un minimum de réalisme nous dirions : « A défaut de m’aimer, respecte-moi et sois poli ». Ceci pourrait résonner comme un impératif et un devoir, au moins pour ne pas faire piètre face devant la société qui nous juge toujours.

En effet, grâce à la politesse-charité, il est possible à notre humanité, forte des ses sept milliards d’habitants, d’être une famille humaine harmonieuse. Il est difficile que tous s’aiment, se sympathisent et s’estiment. Mais il est possible que tous se respectent dans un jeu délicat de gestion des faces et des territoires. Cependant, si cette politesse se refuse d’être étiquette de surface, elle aura un fondement beaucoup plus profond et sera la démonstration externe des sentiments intérieurs imbus des valeurs de charité. Qu’il s’agisse de l’accueil en Occident ou de l’aide aux pauvres, seul le respect de la politesse-charité par les uns et les autres donnera les fruits d’une vraie coopération. En appliquant ce principe aux interactions ou aux rapports de tout genre, spécialement entre l’Occident et les autres cultures, on arriverait à éviter beaucoup d’incidents.

Voilà pourquoi notre approche voudrait donc proposer la « politesse-charité » comme une version light de la charité, à même de faire l’unanimité entre tous, croyants ou athées, au nom du bien, du respect de la dignité de chaque être humain. « Ne faites à personne ce que vous ne voudriez pas que les autres fassent à vous », c’est la seule maxime acceptée par tous les peuples.[6] Positivement cette maxime devient : « Tout ce que vous voulez que les autres fassent pour vous, faites-le pour eux » (Matthieu 7, 6… 7). C’est ici en réalité le nœud de ce que plus tard nous appellerons politesse négative et politesse positive. Car en effet, la politesse est un ensemble de choses à faire pour mettre l’autre à l’aise et un ensemble de choses à ne pas faire pour ne pas mettre l’autre mal à l’aise dans une interaction.

Notre approche est évidemment théorique. Il ne s’agit pas d’une étude empirique basée sur une recherche sur terrain. Il s’agit d’une réflexion interdisciplinaire qui se nourrit des donnés de plusieurs sciences comme la linguistique pragmatique, la théologie morale, la philosophie, la sociologie, l’anthropologie, l’ethnologie, la communication sociale, la coopération internationale, la doctrine sociale de l’Eglise catholique… Étant donné la portée pratique de ce sujet, il nous sera difficile de ne pas recourir à notre expérience personnelle. Quelques exemples à titre illustratif pourront expliciter l’une ou l’autre théorie.

Pour mener à bon port nos réflexions, ce travail se subdivise en cinq chapitres.

Le premier chapitre se veut une approche théorique du concept « politesse », de la définition à son rôle et fondement, en passant par les différentes théories scientifiques. Étant donné le risque que court la politesse d’être pure hypocrisie, la vraie politesse devra puiser ailleurs que dans un formalisme des manières de surface.

Voilà pourquoi le second chapitre pose la charité comme fondement, expression et but d’une politesse authentique. On remarquera que les grands traités de politesse, écrits en majorité des cas par des hommes d’Église, se basent sur le message de l’Évangile et sur la charité chrétienne. Pour les chrétiens donc, la politesse est une expression concrète de la charité, une manière d’aimer.

Ayant ainsi établi le fondement d’une politesse authentique en l’attachant à la charité, sans laquelle elle pourrait se déguiser en simple « vertu » d’apparence, nous pourrons alors la proposer comme élément régulateur dans l’interaction entre cultures différentes. Et dans le cas d’espèce, entre l’Occident et les autres cultures.

C’est à cette tâche que s’attèle le troisième chapitre intitulé « La politesse-charité dans l’interaction entre cultures ». Ce chapitre se veut tout d’abord un ensemble de théories anthropologiques, sociologiques et ethnologiques sur la complexe réalité des rencontres avec l’autre et avec les personnes de cultures différentes. Après avoir défini les concepts qui entrent en ligne de compte dans ce processus de la découverte de l’autre, notre effort tend à proposer la politesse-charité comme régulatrice dans cette interaction, déjà difficile de par sa nature-même.

Les théories contenues dans les trois premiers chapitres auront donné le suc nécessaire pour atterrir avec une approche quelque peu concrète qui nous amènera aux quatrième et cinquième chapitres.

Le premier axe de notre atterrissage est la politesse-charité dans l’accueil que l’Occident réserve aux autres cultures. La question qui nous servira de leitmotiv est celle de savoir si un tel accueil, dont le bénéficiaire abuse parfois, est bonisme[7] (buonismo en italien), c’est-à-dire un excès de bonté qui pourrait conduire à des compromis de tout genre pour celui qui accueille. Nous aborderons ici la complexe question de l’accueil des différents peuples sur le sol Occidental. La « multiculturalité » et la multiethnicité qui caractérisent la configuration actuelle de l’Occident fait aussi interagir plusieurs profils de politesse au point de produire souvent une certaine hybridité. Mais avant tout cela, il va seoir de définir l’Occident et la culture occidentale.

Le second axe pratique de l’application des théories sur la politesse-charité dans l’interculturel est le processus de l’aide aux pauvres. Si la pauvreté est elle-même un tare, un malheur et donc une humiliation, l’aide qu’on apporte aux pauvres, non seulement (sciemment ou inconsciemment) ne marche pas pour beaucoup de facteurs, mais encore fait-elle souvent perdre la face au pauvre qui en bénéficie. Car non seulement on renferme le pauvre dans une conscience d’un mal continuel dont il souffre, mais encore on le met en situation d’indigent qui doit continuellement vivre la main tendue et remercier toujours son bienfaiteur. Les images du pauvre qu’on expose sous prétexte de susciter la compassion des bienfaiteurs sont une vraie menace de sa face et même de sa dignité. Elles créent et renforcent des préjugés, des stéréotypes, des stigmates. Une bonne partie de ce chapitre se dédie à la compréhension de la pauvreté et en propose un nouveau regard.

Une conclusion, plus ou moins récapitulative, nous aidera à jeter un regard rétrospectif sur tout le contenu.

 


[1] Voir Anne Ponce, « Vive la politesse. Un peu de douceur dans un monde de brutes », Pèlerin, 6653 (3 Juin 2010), p. 3. TNS-Sofres-Logica est une Agence française de marketing et d’opinion (sondage).

[2] On entend par cette expression (Mouvements de 68) un ensemble de mouvements et manifestations qui ont eu lieu en France entre mai et Juin 1968, caractérisés par une vaste révolte spontanée, de nature culturelle, sociale et politique contre la société traditionnelle, le capitalisme, l’impérialisme, le pouvoir gaulliste. Dans le domaine de la politesse, ce mouvement a promu la spontanéité et la sincérité dans l’agir sans trop de formalité.

[3] Voir Clarissa Gigante, « E’polemica per la grillina che non stringe la mano alla Bindi », Il Giornale (18 Mars 2013), http ://www.ilgiornale.it/news/interni/polemica-grillina-che-non-stringe-mano-bindi-897284.html, consulté le 18.03.2013.

[4] Voir Rebeka Shaid, « L’Islam et l’Europe. L’Orient est l’Orient et l’Occident est l’Occident ? », Alternatives Européennes (18 Décembre 2012), http ://www.euroalter.com/FR/2011/lislam-et-leurope-lorient-est-lorient-et-loccident-est-loccident-/, consulté le 11 Mars 2013. Kipling commence par caractériser les concepts idéologiques de l’Orient et de l’Occident comme des entités culturelles distinctes, mais il mentionne aussi le désir de ne voir « ni Occident ni Orient, ni frontière, ni naissance, ni race ». Il suggère plutôt l’égalité entre l’Occident et l’Orient.

[5] Voir Bessis, Sophie, L’Occident et les autres : l’histoire d’une suprématie, La découverte, Paris 2003. Dans ce livre, Sophie Bessis explore un noyau obscur de la culture occidentale, une culture qui s’affirme dans une sorte de suprématie naturelle. L’Auteur part de ses relations inégales depuis la renaissance et en arrive à un état des lieux de la situation actuelle entre le Nord et le Sud, avec de nouvelles formes d’hégémonie, avant de proposer des pistes de solution dans cette vague de mondialisation.

 

[6] Voir François-Marie Arouet de Voltaire, Lettere Inglesi, a cura di Paolo Alatri, Editori Riuniti, Roma 1971, p. 177.

[7] Le mot existe dans l’usage courant italien. Son utilisation en Français est quelque peu forcée.

Date de dernière mise à jour : 24/02/2018

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