Accueil en Occident et bonisme
L’accueil en Occident, est-ce du bonisme ?
Quelques extraits du livre:
SISI KAYAN, La "politesse-charité" dans la régulation de l'interaction Occident-Autres cultures. La gestion des faces dans l'accueil des autres cultures en Occident et dans l'aide aux pauvres, Edilivre, Saint Dénys 2015.
Le mot « bonisme » (en italien buonismo) dérive de l’adjectif bon (buono en italien). Dans le langage journalistique et politique, « bonisme » signifie l’attitude de bienveillance même excessive et moraliste dans les rapports sociaux et de recherche continue de médiation entre positions divergentes. Il signifie aussi excès de bons sentiments dans une œuvre littéraire cinématographique.[1] Le « bonisme » est une « attitude d’ouverture bienveillante et compréhension pour toutes les positions, accusé de ne pas aller plus loin que les appels moralistes, capables de produire des compromis confus et de bas niveau. Excès de bons sentiments, suggestifs mais sans conclusion ».[2] Le mot « boniste » (buonista italien) désigne une personne qui, par ses paroles et ses actions, veut paraître bon toujours et malgré tout. Le « boniste » est en général soucieux d’obtenir une bonne côte des autres.
Dès lors le « bonisme » est un néologisme qui est utilisé pour condamner et dénoncer un certain excès de bonté qui sacrifie la vérité et qui enfin de compte passe à côté du but qui est celui de faire du bien. Ce néologisme est le plus souvent lié à la question de l’accueil des étrangers en Occident. On l’utilise pour désigner l’attitude permissive qui est une sorte d’ouverture exagérée à l’endroit des étrangers. C’est une flèche que la Droite et l’Extrême Droite lance souvent à l’endroit de la Gauche socialiste.
Pour mieux analyser cette question, nous partons d’un exemple : le cas de la sentence de Strasbourg de Novembre 2009, interdisant l’exposition des crucifix dans les salles de classe en Italie.[3] Nous observerons aussi les réactions face aux afflux migratoires sur les côtes italiennes.
Perçue comme menace à l’identité culturelle italienne (et occidentale) dont la croix est un élément essentiel, la sentence de Strasbourg sur la présence des crucifix dans les salles de classe a mobilisé toute l’opinion nationale, chrétienne et non chrétienne.[4] En réaction à cette sentence, un Maire d’une ville Italienne avait émis en cette occasion une ordonnance rendant obligatoire la présence des crucifix dans les salles de classe de sa commune. Alors qu’on l’accusait d’être extrémiste, il répondit : « Moi, extrémiste ? Si c’est ainsi, c’est alors la sentence qui l’est. Je ne pouvais qu’agir, répondant de manière égale, à travers une imposition, mais de signe contraire ».[5]
A part quelques interventions des hommes d’Eglise, les autres ont tenu à voir dans la croix, non pas un symbole religieux, mais un héritage culturel occidental. Parmi les réactions récoltées, on peut lire : « Cette justice à l’européenne, je la trouve maladroite, irrespectueuse, ridicule, pire encore ignorante. Au nom d’une présumée laïcité, on tend à mortifier les raisons et l’histoire d’un peuple » ; ou « J’espère que la sentence ne sera pas saluée comme une affirmation juste de la laïcité des institutions, qui est une valeur bien différente de la négation du rôle du christianisme dans notre société » ; ou encore : « Moi, athée, je dis que la croix n’offense plus personne. D’un signe d’appartenance confessionnelle, elle est devenue une icône culturelle. Et aujourd’hui sa signification est celle de la tolérance » ; ou enfin : « Ce n’est pas de cette manière que l’on peut être attiré à aimer et à partager de plus l’idée européenne que, comme catholiques italiens, nous avons soutenu depuis les origines ; on semble méconnaître le rôle du christianisme dans la formation de l’identité européenne, qui par contre a été essentielle… Ce serait une erreur dramatique que de faire de l’Europe un espace vide de symbole, de pensée, de tradition et de culture »[6].
Beaucoup de pays occidentaux ont soutenu la bataille de l’Italie contre la première sentence de Strasbourg. C’est par exemple le cas de la Bulgarie, de la Roumanie, de Malte et de la principauté de Monaco. Dans l’appel qui a heureusement abouti, l’Italie a pu compter non seulement sur les pays qui se sont officiellement présentés comme partie tierce devant la cours de Strasbourg, mais aussi sur la contribution de plusieurs ONG, des parlementaires italiens et européens et du travail diplomatique conduit par le Saint Siège. Cette sentence avait réveillé et alerté beaucoup de pays occidentaux qui ont commencé à prendre position. C’est le cas de la Pologne, de l’Espagne, du Portugal, de l’Allemagne.
Dans ce dernier pays par exemple, la présence du crucifix dans les salles de classe est une règle dans la région en Bavière, malgré une décision de la cour constitutionnelle allemande de 1995 d’abolir l’obligation du crucifix dans chaque classe. « Seule une Europe qui sait d’où elle vient peut parler d’une voix forte », a déclaré la ministre régionale des Affaires européennes de la Bavière Emilia Müller pour justifier son rejet de la sentence de Strasbourg qui selon elle, « fait du tort à l’idée des droits de l’homme ». En Alsace-Moselle (Est de la France), où la loi de séparation des Eglises et de l’Etat ne s’applique pas parce que ces trois départements étaient Allemands en 1905, les crucifix dans les écoles publiques sont autorisés. Plusieurs lycées et collèges de Strasbourg, interrogés par l’AFP (Agence France Presse) affirmaient néanmoins qu’il n’y avait pas dans leurs salles de classe des crucifix. Les crucifix comme les autres signes sont interdits dans les établissements publics dans le reste de la France.[7]
Etant donné que la plaignante (dans l’affaire de la sentence de Strasbourg sur la présence des crucifix dans des salles de classe) est musulmane, les allusions à l’extrémisme fondamentaliste n’ont pas manqué d’inonder les discours, quand on sait combien dans certains pays musulmans il n’est pas permis aux chrétiens de pratiquer librement leur religion. C’est ici que surgit la suivante préoccupation : L’Europe voudra-t-elle hypothéquer son identité au nom de son ouverture et de l’accueil qu’elle veut réserver aux autres ?
[1] Tullio Di Mario (Dir.), Grande dizionario Italiano dell’uso, UTET, Torino 1999, p. 801.
[2] Aldo Gabrielli (Dir.), « Grande dizionario italiano », Hoepli.it, http ://www.hoepli.it/libro/grande-dizionario-italiano/9788820347437.html, consulté le 27 Juin 2012.
[3] Voir Adelino Cattani, Dibattito. Doveri e diritti, regole e mosse, Loffredo, Napoli 2012, p. 99. La sentence de Strasbourg du 03 Novembre 2009 est une sentence qui donne raison à la plainte de Mme Soile Lautsi (« la requérante ») contre l’Etat italien, interdisant ainsi l’exposition des crucifix dans les lieux publics en Italie, étant donné la liberté religieuse dans cet Etat Laïc. Italienne d’origine finlandaise, Madame Soile Lautsi a agi en son nom ainsi qu’au nom de ses deux enfants, Dataico et Sami Albertin, pour qui la présence de la croix dans les salles de classe était une entrave à leur foi musulmane. Après le recours de l’Etat Italien à la même cours, une autre sentence de Mars 2011 donnait cette fois raison à l’Etat italien et maintenait ainsi les crucifix dans les salles de classe.
[4] Toutes ces réactions que nous reprenons sont dans l’article suivant : Rédaction online de Corriere della sera, « Via il crocifisso dalle scuole. Vaticano : “Sentenza miope” », Corriere della Sera (03 Novembre 2009), in : http ://www.corriere.it/cronache/09_novembre_03/crocifisso-aule-scolastiche-sentenza-corte-europea-diritti-uomo_e42aa63a-c862-11de-b35b-00144f02aabc.shtml.
[5] Cité par Adelino Cattani, op. cit, p. 112.
[6] Ibidem p. 105.
[7] Agence France Presse, « Crucifix en classe : rejet unanime en Italie, opinions partagées en Europe », L’Avenir.net (04 Novembre 2009), http ://www.lavenir.net/article/detail.aspx?articleid=366449, consulté le 13 Mai 2012.
POUR PLUS DE DETAILS, LIRE:
SISI KAYAN, La "politesse-charité" dans la régulation de l'interaction Occident-Autres cultures. La gestion des faces dans l'accueil des autres cultures en Occident et dans l'aide aux pauvres, Edilivre, Saint Dénys 2015.
Date de dernière mise à jour : 14/12/2015